« Le feed-back axé sur la croissance est plus précieux que le feed-back positif. »

Jan De Schepper approfondit le lien entre humain et business

Jan De Schepper, Partner chez BDO, a récemment remporté l’IT Lifetime Achievement Award. Ce prix lui a été décerné par Computable Belgique, qui le décrit comme « l’une des personnalités ICT les plus influentes de Belgique ». Jan coorganise également le CEO Summit, qui rassemble chaque année les capitaines d’industrie. Autant de raisons de s’entretenir avec ce fin stratège.

Recevoir cet Award a dû vous donner le vertige, non ?

Jan : « J’essaie de rester modeste. Les gens adorent les récompenses, ils aiment – à juste titre – la reconnaissance. Mais il faut savoir relativiser. Gagner un Award, c’est bien. Prendre conscience de l’inquiétude des jeunes dans un monde volatil en crise permanente depuis des années, c’est mieux. À nous, les babyboomers, de les soutenir, de leur transmettre nos connaissances et d’établir un lien avec eux. Je considère donc ce prix comme la confirmation que j’accomplis ce devoir. C’est en partageant son expérience que l’on se multiplie. Les dirigeants forts acquièrent une autorité naturelle en transmettant leurs connaissances & compétences, pas en les gardant pour eux. Mieux : c’est leur devoir à l’égard des générations suivantes. L’ancien dogme selon lequel ‘la connaissance crée le pouvoir’ disparaît lentement mais sûrement. Le leadership moderne ne repose pas sur une autorité de principe, la politique top-down ou le micromanagement. Il se fonde sur la capacité à se connecter aux autres tout en les stimulant, ce qui les rendra meilleurs, plus forts et plus grands. »

« Un dirigeant fort acquiert de l’autorité en partageant ses connaissances et son savoir-faire. »

Jan De Schepper, Partner chez BDO Belgique

Un dirigeant doit-il être compétent et dégager de la chaleur humaine ?

Jan : « Une étude à long terme menée par l’Université de Harvard révèle que 70% (!) des collaborateurs considèrent que la gestion de la relation avec leur superviseur représente l’aspect le plus compliqué de leur travail. Les leaders les plus performants sont à la fois ‘agreeable’ (agréables) et ‘challenging’. Établir des relations ou des connections dans un contexte professionnel est aussi important qu’être rapide quand on pratique un sport de vitesse. C’est une force qui renforce d’autres forces. »

Qu’est-ce qui relie Jan et BDO ?

Lorsque le bureau de consultance malinois Crossroad a rejoint BDO Belgique en 2017 (Jan était alors administrateur exécutif de Crossroad), il lui a été demandé de positionner plus activement BDO sur le marché des grandes entreprises, sans pour autant négliger le segment moyen. « L’objectif était d’augmenter la part d’activité dans le segment corporate supérieur, au lieu de se concentrer uniquement sur la croissance du chiffre d’affaires de l’ensemble de l’entreprise. Une nécessité pour ne pas être en retard par rapport à la vague de consolidations sur le marché. Et cela semble fonctionner. En outre, j’aime beaucoup contribuer à rendre les gens meilleurs, plus forts et plus grands. Chez BDO, je trouve mon bonheur. L’organisation abrite un vivier de talents et développe une forte culture d’entreprise. Ces deux aspects sont des facteurs essentiels de réussite. »

Jan soutient l’approche sectorielle du marché adoptée par BDO (lisez aussi « La connaissance des secteurs stimule l’activité »). « Alors qu’il y a quelques années, les services de BDO (legal, accountancy, finance, audit…) abordaient le marché de manière essentiellement verticale, nous privilégions aujourd’hui une approche horizontale basée sur des secteurs (finance, pouvoirs publics, logistique, ‘utilities’, immobilier, industrie…). La combinaison vertical-horizontal offre des opportunités commerciales multidisciplinaires. En créant des propositions sectorielles, nous voulons marquer notre différence. »

Le partage d’expériences, de connaissances et de savoir-faire avec la jeune génération est une corde supplémentaire à l’arc de Jan. « C’est incroyable de voir les millennials collaborer avec les 55+. Young BDO est particulièrement enthousiaste et avide d’apprendre. La nouvelle génération ne rechigne pas à bosser dur, pour autant qu’elle soit traitée de manière chaleureuse et compréhensive par les dirigeants. Contrairement à beaucoup d’autres entreprises, BDO dispose en interne de cette fantastique génération à côté de laquelle il ne faut absolument pas passer. Les entreprises qui la négligent ou ne parviennent pas à la fidéliser connaîtront moins de succès à terme. »

Vous avez été parmi les premiers à établir le lien entre sport de haut niveau et leadership.

Jan : « Peu de gens aiment diriger en temps de crise. C’est pourtant à ce moment précis qu’il faut un bon capitaine. Diriger avec succès une entreprise et fidéliser les collaborateurs devient de plus en plus difficile. Il est donc grand temps de mettre en place un nouveau type de leadership. La ‘pensée sportive’ doit être davantage intégrée dans le monde des affaires. Les sportifs de haut niveau ont l’habitude de prester sous pression, de s’adapter à un environnement hautement compétitif et complexe fort éloigné de leur zone de confort. Au lieu de générer du stress, les dirigeants doivent générer de la motivation. Les neurosciences peuvent nous en apprendre beaucoup et nous aider à cet égard. Les êtres humains sont à la fois complexes et tellement émotionnels ! Trop de dirigeants n’ont pas suffisamment conscience de la façon dont leurs collaborateurs s’influencent les uns les autres, comment les sentiments se créent et se gèrent… L’absence d’émotions provoque l’immobilisme. Les dirigeants sont trop peu formés à cela. »

Peut-on parler d’organisations ‘surmanagées’ ?

Jan : « ‘Surmanagées’ ou ‘sous-coachées’ ! BDO rompt avec cette réalité en déployant depuis plusieurs années des efforts considérables pour offrir un coaching optimal à ses collaborateurs. Dans ce cadre, la relation de confiance entre le collaborateur et le people manager (coach) est essentielle, au même titre que la croissance et le développement. En se concentrant sur le feed-back continu et les entretiens ‘feed forward’, chaque collaborateur situe mieux où il en est et où il veut aller. Cette approche fait d’ailleurs partie intégrante de l’évolution vers un entrepreneuriat plus durable. Pas évident quand le domaine d’activité est fortement rationnel et principalement occupé de juristes, experts-comptables, auditeurs, fiscalistes, etc. Mais la prise de conscience de l’importance du lien et du coaching augmente et se traduit de plus en plus dans la pratique. C’est extrêmement stimulant. Cela devient clairement un facteur de différenciation critique. »

Vous dites que recevoir un prix, c’est comme recevoir un feed-back. Pouvez-vous expliquer ?

Jan : « Recevoir un feed-back (sous forme d’Award ou d’une autre manière) ne doit pas être un prétexte pour devenir conservateur mais bien pour s’améliorer… indépendamment de son expérience ou de son âge. Celles et ceux qui reçoivent uniquement du feed-back positif risquent de tomber dans le piège qui consiste à continuer à travailler comme elles/ils en ont l’habitude. Erreur ! Selon moi, le feed-back axé sur la croissance est beaucoup plus précieux que le feed-back purement positif car il vous amène à porter un regard critique sur vous-même. Il vous pousse au changement, à évoluer et, in fine, à mieux faire qu’auparavant. Il n’est pas facile de donner ou de demander un feed-back. C’est pourtant vital dans le parcours de croissance d’une organisation. »

Le feed-back ajoute-t-il de la pression ?

Jan : « Un dirigeant doit comprendre où, quand et dans quelle mesure il est permis et possible de mettre la pression. Les gens en ont parfois besoin pour produire plus que d’habitude, élargir leur zone de tolérance. Éviter obstinément de mettre la pression est contre-productif. Tout l’art consiste à transformer la pression en motivation positive plutôt qu’en pression négative ou en stress. Les bons dirigeants en sont capables. »

« Pressure » était le thème du CEO Summit de 2022. L’édition de cette année s’intitule « Human Cloud : Original Leadership ».

Jan : « Un leader qui se connecte humainement avec ses collaborateurs ne craint pas d’appuyer là où ça fait mal, sans pour autant remuer le couteau dans la plaie. Exactement comme quand on administre un vaccin. Vous pouvez d’abord légèrement souffrir mais finalement vous vous rétablissez, vous vous améliorez en tant qu’individu et vous augmentez l’immunité de groupe. À condition d’accorder suffisamment de temps de récupération, bien entendu. Accorder ce délai s’avère même plus important que demander des efforts. Autrement dit : plutôt que renvoyer les collaborateurs à la maison s’ils se sentent épuisés après une mission exigeante, confiez-leur une tâche moins contraignante. Conclusion : la pression est un système bien intentionné. Celles et ceux qui l’appliquent correctement observeront moins de burn-outs ou d’absentéisme. Les personnes qui ressentent un manque de pression parce qu’elles ne sont pas suffisamment mises au défi vont douter de leurs propres capacités ou talents. Un dirigeant efficace comprend et maîtrise ce paradoxe. »

Plus facile à dire qu’à faire, vous ne trouvez pas ?

Jan : « C’est vrai. Les dirigeants reçoivent trop peu de soutien. Les scénarios du pire n’accordent aucune importance au fonctionnement de l’être humain, alors qu’ils devraient justement comprendre l’impact que l’organisme peut avoir sur le cerveau (et inversement). Au lieu de leur faire suivre 3 jours de cours dédiés à l’optimisation de processus ou à une méthodologie quelconque, les dirigeants ont davantage besoin d’être initiés à la gestion humaine. Je me suis fracturé l’auriculaire un jour. Le radiologue (qui a suivi une formation de plusieurs années) a fait une radio de mon doigt. L’anesthésiste (lui aussi hautement qualifié) m’a mis sous anesthésie avant l’opération. Ensuite, le chirurgien et le kinésithérapeute sont intervenus. Autant de spécialisations pour un auriculaire ! Alors qu’on propose beaucoup moins de formation aux dirigeants qui travaillent avec le cerveau des gens et qui doivent comprendre pourquoi ces derniers se sentent bien ou mal dans leur peau. L’impact est tellement plus important pour le bien-être des collaborateurs et de l’organisation. »  

Il y a pression et pression

La pression existe chez BDO, mais nous voulons la considérer sous son angle positif. « Une charge de travail excessive n’est pas un facteur de motivation positif », précise Wim Galbusera, Human Resources Director chez BDO Belgique. « La motivation et l’engagement ne reposent pas seulement sur le salaire ou le contenu de la fonction. Ils dépendent aussi de la manière avec laquelle les collaborateurs se sentent liés aux autres et compris, appréciés, épanouis dans l’équipe et l’organisation. »

La reconnaissance des collaborateurs est certes essentielle mais elle ne suffit pas. Il est tout aussi important de continuer à challenger les personnes (‘leur mettre la pression’, dirait Jan) afin d’exploiter pleinement leurs talents. « Donner aux gens un petit coup de pouce qui les déséquilibre légèrement pour qu’ils puissent (ou doivent) progresser. C’est ce que nous appelons ‘grandir ensemble’. »